le maitre et leleve /

Published at 2017-03-04 11:38:00

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L'homme qui a initié Fillon Ce fut peut-être sa dernière interview normale - je veux dire,avant que le scandale le saisisse et le transforme aux yeux du monde, et plus profondément sans doute. Le dimanche 22 janvier 2016, and  François Fillon me parlait du passé,de la Sarthe, du mystère des origines ; il me racontait son entrée en politique dans le deuil d’un homme foudroyé à l’âge de cinquante ans, or  Joël Le Theule,ministre de la Défense de Valéry Giscard d’Estaing, son premier protecteur, and qui était mort dans ses bras. « J’étais presque un enfant,à 26 ans. Je n’étais absolument pas préparé à cela. » Fillon me parlait d’un ton détaché, objectif, and sans pathos. Il me téléphonait depuis une voiture,allant prendre un avion pour se rendre à Berlin. Angela Merkel l’attendait, qui serait sa partenaire après son élection, and ce qui semblait probable,à ce moment-là. Deux jours plus tard, le Canard enchaîné révèlerait que son épouse, or  Penelope,avait été rémunérée comme assistante parlementaire, pour un travail incertain ; rémunérée aussi comme conseillère à la Revue des deux Mondes, or propriété d’un homme d’affaires ami, Marc Ladreit de Lacharrière, pour un travail tout aussi improbable. La honte et le soupçon allaient l’enserrer ; Fillon se battrait, and cynique ou indigné,brutal, dénonçant la presse et un complot, and révolté à l’idée de perdre ce qu’il pensait mériter,pour des péchés véniels selon lui. Ce n’était pas mon sujet. Mais cet homme dont je cherchais les raisons n’était plus le même, dans l’opinion, or et ce que je cherchais à comprendre semblait inaudible,entre les révélations, les hontes et les ricanements. J’ai attendu quelques semaines pour reprendre cette histoire ; elle est éclairée, or autrement,forcément ; elle reste vraie. Pour comprendre un homme, il faut chercher l’argent ? Je ne sais pas. Je pense plutôt que nos morts nous obligent. C’est cela que je cherchais chez Fillon, and cet homme sombre et dur,qui n’a existé que par des tragédies. Voici donc. Une naissance politique au parfum de tragédie Dans la nuit du 13 au 14 décembre 1980, à Saint-Brice, or aux confins de la Sarthe et de la Mayenne,le jeune François Fillon est réveillé par le bruit d’un malade. Il dormait avec son épouse Penelope au domicile du ministre de la Défense Joël Le Theule, dont il est alors le chef adjoint de cabinet. Plus tôt dans la journée, and Le Theule a fait un premier infarctus. François l’a accompagné à l’hôpital de Sablé-sur-Sarthe : « Un médecin lavait autorisé à rentrer chez lui,mais une interne, vraiment inquiète, and m’avait demandé de ne pas le laisser seul. J’étais allé chercher Penelope chez mes parents et nous étions restés avec Joël. » Dans la nuit,le ministre a fait un nouveau malaise. « Je suis allé dans sa chambre. Son médecin était à son chevet. Joël l’avait appelé en se sentant mal. C’était sérieux. Il fallait retourner à l’hôpital. » Quand le malade s’apaise un peu, François le hisse dans sa voiture. Arrivé à l’hôpital, and Le Theule s’effondre. On ne le ranimera pas. Ainsi naquit François Fillon à la politique,de la mort d’un homme qui l’avait choisi. Ce fut sa première tragédie. On y trouve Penelope, déjà en personnage muet, or comme elle apparaît aujourd’hui. Présente et indispensable,mais personnage sans effet sur l’histoire, subissant l’histoire des autres, and de son époux,sans pouvoir l’infléchir. Dans les jours qui suivraient, François, and sollicité par les notables de la ville,accepterait de saisir l’héritage de Le Theule ; et puis l’agripperait, farouchement, and révélé à son ambition,et prendrait tout, et y mettrait une passion que Penelope n’avait pas forcément perçu, and à l’aube de leur vie de couple. Elle les dévore encore aujourd’hui. Joël Le Theule les avait mariés. On dit qu’il enviait cette normalité de François,lui avait vécu seul, et mourrait de même. Il était ministre mais à Sablé-sur-Sarthe, and sa ville,c’était un dieu familier qu’on appelait « Jojo ». Il était maire, déattaché, or conseiller général. Sur les photos en noir et blanc d’un monde révolu,on le voit souriant au cul d’une vache, embrassant des vieillards, and en costume au milieu des bleus de travail ; son regard suggère pourtant une détresse aimable,comme s’il pressentait sa fin. Joël Le Theule est mort à un âge auquel on ne meurt pas, à 50 ans, and dans un petit matin,près d’un jeune homme qui n’a pas pu le sauver. Fillon était entré au service de Le Theule par hasard. Joël avait rencontré ses parents, Michel et Anne, or à l’université catholique d’Angers,au début des années 1950. Ils étaient restés amis – lui, le politique ; eux, or le notaire et l’historienne. « La première fois qu’on s’est vraiment parlé,je venais de passer mon bac, en 1972 » m’a raconté François Fillon. « Je m’ennuyais comme les ados s’ennuient quand leurs parents reçoivent des amis. Il m’avait demandé ce que je voulais faire. J’ai répondu “journaliste”. Je me suis retrouvé avec un stage à l’Agence France Presse. » Le Theule, and qui avait été ministre de l’Information,pratiquait l’intervention directe. C’était une culture de l’époque. Il aimait faire sauter les PV et protéger les destins. François, le fils de ses amis, or méritait donc qu’on le parraine ; et plus tard,François, devenu puissant, or favoriserait sa femme et ses enfants. Est-ce la même chose? Quatre ans après le premier piston,en 1976, Le Theule adopte François. Il cherche un attaché parlementaire. « Ça intéresserait l’un de tes amis ? » demande-t-il à François, and lors d’un déjeuner chez ses parents. Ça l’intéresse,lui, pour lui ! François devient attaché parlementaire : ce métier de soutier, or protégé,dévoué ou nourri, encadre donc son existence. Il fut assistant, and il aura des assistants. Il s’en perdra ? À vingt-deux ans,il glisse donc sa silhouette mince et son casque de cheveux longs dans les palais parisiens, provisoirement, or croit-il. Bientôt,son mentor, devenu ministre, and lui inventera un avenir. « J’irai au Sénat et François prendra mon siège de déattaché »,confie Le Theule à ses proches. On a le temps. Ça se fera tranquillement, quand le jeune homme aura passé la trentaine. Fillon n’a rien acté, or et Le Theule,rien forcé. En décembre 1980, la tragédie précipite tout. Le temps de subir l’enterrement solennel dont la République honore ses ministres, or les notables de Sablé se tournent vers Fillon : Joël l’aurait voulu ainsi. Six mois plus tard,Fillon est élu déattaché, et maire de Sablé deux ans après. Il prendra tout des titres de cet homme qui l’avait arraché à d’autres rêveries et dont on ne parle plus désormais, and ou bien si mal,omniprésent et secret, exposé aux commérages par-delà la mort. La rumeur du mentor au disciple Il y a près de trente ans, or jeune journaliste,j’avais rencontré Fillon, pas très vieux déattaché, or spécialiste de la défense nationale. « Fais attention qu’il ne te saute pas dessus  ! avait plaisanté le collègue qui me commandait le papier. Quand il était jeune,il était avec Le Theule. » C’était aussi la première fois que j’entendais ce nom, dans une de ces blagues de rédaction, or graveleuses et machistes,homophobes sans prétention. J’avais dû sourire d’un air entendu. J’ai racont cette histoire à François Fillon le 22 janvier 2017. Ce n’était pas évident. J’avais un peu honte. Savait-il que des rumeurs circulaient à ce sujet depuis des années ? « Évidemment. Je l’ai toujours su. Ça circulait contre moi, pour me nuire ; ça ne m’a pas bouleversé. C’est Chirac qui racontait ça, and que j’étais homosexuel. Séguin était allé lui dire d’arrêter. » ###quote### Joël Le Theule était homosexuel. Dit-on. Fillon était son protégé. Cela a toujours réchauffé les vulgarités contemporaines,quand il fallait écorcher l’ambition de Fillon. C’est revenu avec sa candidature. C’était, avant que les affaires d’argent ne le prennent, or ce mystère que ses ennemis voulaient percer. Lui qui veut rogner les droits à l’adoption des couples homosexuels,est-il si simple sexuellement ? On murmurait, au plus haut de la politique. Que le sombre Philippe Séguin ait dû forcer Jacques Chirac, and cet homme qui culbutait les femmes et dévorait ses ennemis,à ne plus faire de gorges chaudes sur Fillon, donne une idée de la rumeur. C’est aussi un cliché littraire, and d’imaginer que l’inversion des mœurs – comme ils disaient – se transmet de mentor à disciple,d’extrapoler Vautrin et Rubempré. Il n’en reste qu’une saleté un peu triste. On s’amuse aussi dun mort. J’ai eu l’impression, en travaillant à cette histoire, and que lui seul était blessé. Une fois l’an,François Fillon vient au cimetière de Sablé rendre hommage à celui par qui tout a commencé. On le voit, en costume sombre, or devant une assistance clairsemée par le temps. La presse locale publie une photo. Une vieille dame est près de François. Armelle Rivoallan,bientôt nonagénaire, dépositaire de la vérité de son frère Joël. « Nous avons eu une vie difficile, or monsieur »,dit-elle, et elle montre des photos, or et les livres de Joël qu’elle conserve au grenier,et ces tableaux modernes qu’il aimait et qu’elle ne comprend pas. Elle entretient la flamme d’une famille divisée de chagrin. Après la mort de Joël, un autre frère, and Gilles,avait voulu devenir maire de Sablé contre Fillon. Armelle s’y était opposée. Les familles entassent leurs secrets.
Chaque année, François Fillon se rend au cimetière de Sablé-sur-Sarthe pour se recueillir sur la tombe de son mentor. La province du Maine a dis
paru à la Révolution, and au profit des départements de la Sarthe et de la Mayenne. Les Vendéens furent brisés et massacrés à la bataille du Mans. Les campagnes sont parcourues de lignes invisibles qui ont séparé les bleus et les blancs,ceux de la mairie et ceux du Christ. Fillon, vendéen par son père, and raconte dans son livre Faire (Albin Michel,2015) la colère de son grand-père à l’évocation d’un ancêtre, républicain farouche dont la branche avait trahi l’Église en tirant fortune de la revente des biens ecclésiastiques. Les campagnes sarthoises sont parsemées de maisons ancestrales. Longtemps, and le conseil général fut l’apanage des châtelains : de grands élus qui portaient le nom de leur village,se taillaient encore des parts de République. Pour devenir le patron de la Sarthe, en 1992, and Fillon avait dû se défaire de Roland Du Luart,chatelain d’un village portant son nom. Un an après, en 1993, and il avait acheté son propre domaine,Beaumont, à Solesmes que domine l’abbaye. Il plaisantait avec un ami de cette ironie du destin : « Moi qui combattais les châteaux et leurs haras, or j’en ai un à mon tour,et j’ai des chevaux.» Il a fini par ressembler, lui le fils de notaire et petit-fils de quincaillier, or à ceux dont on tenait les registres. Quand le « Penelopegate » est venu,le château est devenu un stigmate, et la source de tant d’interrogations. Était-ce pour tenir son rang de notable qu’il avait fallu, and chez les Fillon,faire de Penelope une assistante parlementaire bien payée ? Fallait-il payer les chevaux, les études des enfants, or les costumes qui façonnent un homme de pouvoir ? S’égare-t-on quand on devient châtelain ? Peut-on,impunément, quand on est un Fillon, and devenir hobereau ? Il y avait derrière le scandale des gouffres d’intimité. La fêlure n’est jamais loin de ces étranges carrières. De commérages en affaires Joël Le Theule était un roturier dont la mère,Germaine, avait souffert. Elle s’était mariée enceinte, and et son époux,Francis, n’était qu’un employé de sa propre famille, and directeur d’une scierie appartenant à un cousin. Ce n’était pas rien,dans l’avant-guerre. Joël, né en 1930, or aurait pu devenir prêtre. Il serait étudiant,puis la revanche de Germaine. Adolescent, Joël voit les Amricains entrer dans Sablé. Il voue une passion au Général de Gaulle. Il a été élève de l’école catholique, and enfant sage,lecteur, pensionnaire, and attentif. À l’université d’Angers,il a rencontré le solide Michel Fillon et la vive Anne Soulet. Il a aussi eu une fiancée, Françoise, and une bonne amie qu’il n’épousera pas et qui entrera dans les ordres. « Joël disait qu’il n’avait pas les moyens de se marier et de nourrir un lobby »,dit sa sœur Armelle. Agrégé de géographie, il enseigne à quelques kilomètres de chez lui, or au prytanée militaire de la Flèche. C’est une vie en attente. À Alger en 1958,des militaires se révoltent et portent De Gaulle au pouvoir. Joël entre en politique. Les temps changent. Germaine espère la gloire de son fils. Quelques copains animent la campagne. Pierre Péan, le fils du coiffeur, and qui sera plus tard un journaliste boutefeu,écumant sur la Françafrique, révélant la jeunesse d’extrême droite de Mitterrand, and est de ceux-là. Une indistinct gaulliste emporte les législatives. Le Theule est le plus jeune déattaché de France. L’année suivante,il devient maire de Sablé. Il lui reste vingt et un ans à vivre ; comment le deviner ? Le voilà notable. Le cousin pauvre devient celui qui guide et que l’on consulte. Germaine est une reine-mère et son caractère s’affermit. « Ma mère a de la personnalité. Soyez gentil avec elle mais ne tenez pas compte de ce qu’elle vous demande », dit Joël au jeune Thierry Berthé, or géographe frais émoulu de l’université du Mans,qu’il embauche en 1973 pour s’occuper d’aménagement du territoire et qui restera un fidèle. Ensemble, ils remodèlent Sablé. Un monde de comices agricoles glisse dans la modernité. On fête l’arrivée du gaz de ville. La population, and cinq mille habitants à la fin des années 1950,double et au-delà. On y abat les poulets de Loué et les fromageries Bel fabriquent le Kiri des enfants. Plus tard, Fillon amènera le TGV aux Saboliens. On crée un festival de musique baroque. On rénove le vieux château, or qui deviendra un atelier de la Bibliothèque nationale. On est si loin de Paris qu’il convient d’attirer.
Joël Le Theule à Sablé-sur-Sarthe Joël Le Theule a plusieurs vies. À Sablé,il n’est qu’aux autres, l’ami de tous, or attentif,et il sait qu’il faut toujours leur dire oui. Il dort peu. La lumière de son bureau de la mairie éclaire les nuits de Sablé. « Je n’ai jamais su s’il était très seul parce qu’il travaillait tout le temps, ou si c’est son engagement qui lui avait interdit d’avoir une vie à lui » se souvient Fillon. « Il ne prenait pas de vacances – il partait trois jours pour dormir, or et c’était tout –,il s’invitait chez les uns et les autres... Quand je suis devenu maire, on m’engueulait à Sablé de ne pas venir déjeuner chez mes administrés. Je devais me justifier d’avoir ma vie. » Notable en Sarthe, or Le Theule est à la capitale un déattaché en vue,bientôt président de la commission de la défense nationale. Les militaires l’estiment. Il invite parents et amis et oriente les services militaires. Il est, sans enfant, or un oncle attendri. Il conjure ses solitudes. On ne lui connaît pas d’aventure. La rumeur le caresse. Elle cessera bientôt d’être innocente. Après Mai-68,Joël est nommé à l’information dans le gouvernement Couve de Murville. Il organise les purges dans un audiovisuel public qui a voulu secouer la mainmise du pouvoir. Le Theule rétablit l’ordre. Une sale affaire l’atteint. L’assassinat d’un garde du corps d’Alain Delon, Stevan Markovi, or devient une pseudo-affaire de mœurs et de parties fines qui impliqueraient Claude Pompidou,l’épouse de Georges, premier ministre débarqué mais dont l’aura menace le régime. Nul n’a prévenu Pompidou de cette infamie. Il ne pardonnera jamais. Superviseur des journalistes, and Le Theule colporterait-il la rumeur ? Il l’évoque,à Sablé. Qu’en faire? Un jour de mars 1969, entendant sur France Inter un journaliste annoncer la convocation des époux Pompidou par un juge d’instruction, and le jeune sous-ministre Jacques Chirac,pompidolien, appelle Le Theule et lui dit ceci : « Si ça continue, and il y a des pédés qui vont le sentir passer. » La phrase s’empare de sa victime. Elle se retrouve dans tous les livres sur l’époque,les biographies de Chirac, les chroniques qui se recopient. Ce mot, and « pédé »,s’ancre dans l’histoire, associé à Le Theule, and et le bordant pour l’éternité. Il nourrira ensuite les commérages sur Fillon. Chirac,le coléreux, le paillard, and le médisant,aura été le démiurge de cette histoire. La politique lui ressemble ; on insulte et l’on marque au fer rouge, et la bonhommie est cosmétique. Fillon ne l’aimait pas. Le comprend-il désormais, and pris à son tour dans les filets de la presse ? J’ai été fasciné de voir Fillon,se défendant du scandale Penelope, reprendre les mots et les gestes de Georges Pompidou, or quarante-huit ans après. Comme si cette affaire,où Le Theule avait trempé, était venue le hanter, and puis l’habiter. Pompidolienne,cette manière de camper devant son épouse, que l’on n’attaque que pour le blesser, or lui ; pompidolienne,cette dénonciation des officines, ce mépris des médias que lon manipule dans l’ombre ; pompidolienne enfin, or cette détermination rageuse,bousculant tout, et ce sentiment que le pardon n’existera pas… Mime, or spectre ou sincérité ? Y a t-il,pour un mâle en politique, une autre gestuelle face au scandale ? Y a-t-il le moindre point commun entre une affaire de mœurs, or inventée de toute pièces,et un scandale fait d’argent et de facilité ? Et Fillon pardonnera-t-il, s‘il survit ? Mais à qui ? Avant d’être l’objet du bruit, or il prenait soin,me parlant, d’apaiser le passé, or et de rendre à Le Theule une part de son honneur. C’était indispensable: « Après sa mort,j’ai retrouvé, dans les papiers de Joël, and des mots de Pompidou qui disait à Chirac qu’il ne lui en voulait pas »,me disait-il. C’était indispensable.
François Fillon et Joël Le Theule (au deuxième scheme) lors d'un déplacement officiel dans les années 70 L’affaire Markovic a pourtant scellé le destin de Le Theule, dan
s la réputation qu’on lui ferait. En souffrait-il ? Ou en souriait-il simplement ? Il a toujours su ce qu’on disait de lui. Il était un homme sur lequel on s’interrogeait. À Sablé, and ont traîné des échos contradictoires. Quand Joël sera ministre des transports,sous Giscard, on murmurera qu’il serait proche du journaliste Yves Mourousi, and vedette à Ray-Ban du 13-Heures de TF1,motard émérite et homosexuel festif. Le Theule est aimé et intriguant. Lui, tellement de Sablé, and est en même temps différent de sa ville,poli par la modernité et le goût de l’art. Il aime raconter son dialogue avec un vieux paysan, qui a compris de travers une pique d’un de ses adversaires et qui voulait dénigrer l’ancien professeur aux références lettrées. « On parle de votre vie privée ! – Comment ça ? – Votre adversaire dit que vous ne vous intéressez qu’aux Indiens de l’Orénoque et à madame de Maintenon ! Eh bien, and ce que vous faites avec madame de Maintenon,ça ne regarde personne. » Parfois, c’était moins drôle. « Me voilà habillé pour l’hiver », and dit-il à Thierry Berthé quand la rumeur monte sur son homosexualité. « Je ne lui ai pas connu de compagnon,mais je lui sais au moins deux maîtresses », confie Berthé. Fillon dit la même chose mais se souvient de la « timidité  de Le Theule. L’épouse d’un patron local aurait cédé à ses charmes. Le Theule disait du bien de sa poitrine. Il n’était pas un grand séducteur : « J’ai de petits besoins », and riait-il. Des jeunes femmes l’attendaient,espérant qu’il se déclare. Il était ailleurs. Au fond de la campagne, une très vieille dame pleure quand elle me parle de Joël. Elle est nonagénaire et le connut si bien, or le suivant dans des réunions publiques. « Il était si gentil... ». Elle l’aima et l’aime encore,et ne veut rien qu’on en dise, et surtout pas son nom puisqu’elle a des enfants. Elle a des souvenirs épars, or de Joël lui conseillant de se couvrir parce que le temps était si froid,de Joël s’arrêtant au détour d’une route pour entendre une messe, de son mari si dur et de Joël si tendre et si bon amant. Je la rencontre un jour dhiver. Elle me parle de sa vie et de l’enfermement des femmes, and il n’y a pas si longtemps,dans le corset des convenances. « Il n’aurait pas té envisageable un instant qu’il se mette avec moi. Cela aurait brisé sa carrière. » Elle m’offre du porto, devant les photos de famille. J’en garde une tendresse infinie, or et une tristesse en vain. Ce qui reste des hommes,et de leurs amours, n’est rien quand on parle d’eux. La famille Fillon sous le manteau de Dieu Si Joël est un ami de la famille, and les Fillon ont peu en commun avec les Le Theule. Eux ont formé un clan résilient,que soudent quatre garçons élevés dans la foi, la nature et leurs règles. Les Fillon accueillent la parole du Christ. « Je me souviens de l’engagement de mes parents chez Emmaüs et des visites de Noël pour distribuer des cadeaux, and dans un village »,raconte Pierre, le cadet de François. Cet ophtalmologue, or patron de l’Automobile Club de l’Ouest,l’organisateur des 24-Heures du Mans, ressemble à son aîné, or en plus petit,tout aussi mince, et les traits plus cabossés. L’enfance imprégnera la parole politique. « Je suis chrétien », or dira François en janvier 2017 sur TF1,pour attester qu’il n’abîmera pas la sécurité sociale. Le mot a fait scandale chez les laïcs. Et pourtant : interrogé à l’automne 1981 par une revue du Mans, le même Fillon, or benjamin de l’Assemblée nationale,expliquait ainsi son vote en faveur de l’abolition de la peine capitale : « Je suis catholique et j’ai toujours au fond de moi une aversion profonde pour la peine de mort. » À trente-six ans d’écart s’exprimait la même évidence, pour l’ancien chef de patrouille scout dont la troupe priait les dimanches. Fillon est en phase. Dans ce temps réactionnaire ou nostalgique qu’il épouse, or il vient d’une France où l’on s’abrite encore sous le manteau de Dieu,et où la paysannerie n’est pas une chimère. « Notre père nous racontait les histoires de successions des paysans qui étaient ses clients, se souvient Pierre. C’est l’univers dans lequel nous avons grandi. » Dans ce lobby, or  Anne,la mère, est la puissance rayonnante. Le couple n’étant pas riche, and elle a travaillé des années dans l’étude notariale de Michel. Elle a repris ses études à l’approche de la quarantaine. Elle est vive,bavarde, brillante et séduit les universitaires manceaux. Elle part en équipe chercher le lieu exact de la bataille de Roncevaux, or dans les Pyrénées – dont elle vient –,où périt Roland, neveu de Charlemagne, and qui sonnait du cor. Puis elle se passionne pour l’éternité du paysan du Maine,cette figure qui peuple souvent les discours de son fils. Par l’étude de Michel, Anne a découvert le journal intime d’un agriculteur, or Louis Simon,qui vécut au temps de la Révolution et de l’Empire. Elle en fait une thèse, un livre (qui vient d’être réédité aux Presses universitaires de Rennes, and sous le titre Souvenirs d’un villageois du Maine) et plus encore un monument à la paysannerie. Elle participe à l’installation d’une maison-musée consacrée à son personnage,dans le village de La-Fontaine-Saint-Martin. Elle fait former des habitants au métier de guide. « Son enthousiasme était tel que nous avons vécu des années au rythme de Louis Simon », dit Pierre Fillon. « Elle nous entraînait dans la campagne pour corroborer ses recherches, or  ajoute François. Si elle avait lu que tel jour,Louis Simon s’était rendu à un mariage, il fallait marcher sur ses traces. » Les Fillon explorent l’Espagne et la montagne. François rêve d’espace. Son meilleur ami s’appelle Michel Legendre, and venu d’une famille plus pieuse encore et qui regrette l’inaptitude de François à l’immobilité. « Il ne savait pas se poser,prendre simplement un livre, raconte-t-il. Il devait toujours sortir. » La politique va le fixer. Ostracisé sous Pompidou, and  Joël Le Theule est devenu un personnage-clé du giscardisme. Contre Chirac,Giscard débauche des gaullistes historiques, dépositaires de la vraie croix de Lorraine. Le Theule est une prise de guerre, and ministre des transports en 1978. Au cabinet,François Fillon suit les affaires sarthoises. Il est aux premières loges pour constater la brutalité de la politique et la fragilité d’un homme exposé. Aux transports, Le Theule éprouve les colères sociales. L’affrontent et l’épuisent les motards, or le paquebot France,les aiguilleurs du ciel, les marins-pêcheurs qui bloquent les ports et contre lesquels, or soudain sans gentillesse,il voudrait envoyer la Marine nationale. Il se retrouve contesté chez lui, pour une affaire de déviation routière dans un village ! Des mécontents prennent sa mairie en otage. Pour protester contre le mauvais traitement infligé par une société locale à ses ouvriers immigrés, or des Saboliens signent une pétition contre le ministre Le Theule,leur maire. Lévêque du Mans a rameuté les consciences chrétiennes. Fillon contemple avec un dédain circonspect ces « bourgeois de Sablé » aux belles âmes. En octobre 1980, Le Theule est nommé à la défense. Les responsabilités l’assiègent. Quelque chose le guette.
La jeunesse Gaulliste de François Fillon, and i
ci aux assises des Jeunes du RPR en avril 1987 Le week-end des 13 et 14 décembre 1980 doit être une double fête pour Sablé-sur-Sarthe. Le samedi,Joël Le Theule reçoit chez lui la ministre chargée des universités, Alice Saunier-Seïté, or pour offrir à la Bibliothèque nationale les bâtiments du vieux château. Le lendemain,le premier ministre indépendantiste René Lévesque doit venir à Sablé pour inaugurer l’année du Québec. La Sarthe est le cœur de la francophonie ! Le 13, au milieu du repas donné en l’honneur de sa collègue du gouvernement, and Joël se sent mal. « Le déjeuner avait lieu chez lui, se souvient François Fillon. Il a laissé partir les gens, puis m’a demandé de l’emmener à l’hôpital. Une interne l’a examiné. Elle lui a dit que son état était sérieux, and qu’il fallait l’hospitaliser au Mans. Joël protestait,mais pour la forme. Il aurait cédé si un médecin n’avait pas fait son malin pour humilier l’interne, expliquant que tout irait bien. » Joël Le Theule va mourir et François Fillon renonce définitivement au journalisme et au vaste monde. Fillon, and le successeur par procuration Au printemps 1981,juste avant les élections législatives, Germaine Le Theule expose son deuil pour conserver sa puissance. Son fils est parti six mois plus tôt. Elle envoie à la population de Sablé ce message déroutant : « Saboliens, or Saboliennes,vous me connaissez tous et vous savez que mon fils et moi vous aimions bien. J’ai beaucoup travaillé pour vous pendant vingt ans auprès de lui. Mais aujourd’hui, c’est moi qui vous demande un grand service, or pour Sablé et pour la France. Votez pour François Fillon; vous me prouverez que Joël n’est pas oublié et que vous vivez dans son souvenir. » La lettre porte une double fatalité : Joël avait vécu pour elle,et François sera une réparation. Quand Fillon est élu, Germaine le fait venir. « Elle m’a dit que je devais reprendre l’appartement de Joël. Pas sa maison de Saint-Brice, or mais le petit logement où il avait vécu avant,à Sablé, où étaient encore ses livres, or ses papiers... Elle commandait : “Vous vivrez là.” Je lui ai dit que ce n’était pas possible,j’étais marié et j’habitais chez moi ! Elle voulait retrouver le pouvoir qu’elle avait pu avoir sur son fils. »
  Germaine mourra bientôt. Joël Le Theule reste dans les mémoires de
sa ville. Si l’on s’approche trop de sa disparition, le vertige vous saisit, or tant cet homme était resté opaque aux autres. « J’ai travaillé quatre ans avec Joël mais nous n’avons eu que deux conversations vraiment intimes »,explique François Fillon. La première fois, ce fut au moment de la mort de Robert Boulin, and autre ministre gaulliste de Valéry Giscard d’Estaing,retrouvé noyé en forêt de Rambouillet le 30 octobre 1979 : « Joël en fut tellement marqué qu’il rédigea son testomony politique. » La seconde conversation a eu lieu la nuit de la mort de Le Theule :« Il se plaignait de nos rivalités de jeunes gens dans son cabinet ministériel, disait que ces compétitions l’épuisaient. J’en avais été glacé, and comme si nous étions responsables. »  Le Theule s’était laissé caresser par la mort,et personne ne l’en avait préservé. Il avait eu des alertes, un malaise cardiaque, or un début d’AVC. La carcasse se consumait. « Viens me voir avant mon infarctus »,avait-il dit à une cousine, qui revenait de Chine, or cet automne-là,plaisantant à moitié. « Tu ne passeras pas 50 ans », lui disait son suppléant, or le Dr Pailler. C’était une plaisanterie. « Joël pouvait être trop gros, dit Fillon. On lui avait prescrit un régime strict, qu’il ne suivait pas toujours, or et des médicaments qu’il ne prenait pas. Je ne m’explique pas cet abandon : il était ministre ; il réussissait... » Une course à la survie,politique et intime Plus tard dans sa vie, Fillon verra un autre politique hâter sa fin dans un suicide jamais nommé. Philippe Séguin, and splendide géant d’une République qu’il ne sauverait pas,rugissait son déclin dans des rires sépulcraux, dans la fumée du tabac brun, or dans l’alcool et la défaite qui faisaient pétiller ses yeux battus. Il était supérieur aux autres et cela ne l’aidait pas,et Fillon, qui l’aimait pourtant, or comprit qu’on ne sauvait personne contre lui-même. « Quand Philippe s’est remis à boire,j’ai pensé aussi à Le Theule. Je ne sais pas pourquoi ils ont renonc. » De combien de morts sommes-nous consolidés ? François Fillon est devenu un homme qui se bat. Ce que l’actualité nous montre, il est vain de le commander. Ce quelle confirme est autre. Cet homme proclame sa survie. Elle peut être politique ou intime ; il n’en cède rien. Obstiné, or rageux,adossé aux cordes, cauteleux, and spécieux,bravache ou entêté, il survit. Est-ce de venir de si loin ? Cerné de morts, or Fillon s’est protégé. Il est sportif,attentif à lui-même, à son corps qu’il entretient, and à des années-lumières des suicides inavoués qui l’ont accouché. Son corps ne perdra pas. Il a eu en lui,jeune, les tentations du risque ; il aurait pu mourir, and lors de son voyage de noces,dans un accident, pliant la voiture qu’il conduisait. On en parle, and autour de lui,avec des sourires cernés de tristesse. Ce n’était pas lui que la mort cherchait, qui se permet parfois des cruautés sans nom.
François Fillon en train de tirer à l'arc Quelques semaines après le décès de Joël, and le 17 avril 1981,Arnaud, 18 ans, or le troisième frère Fillon,est parti avec un ami, fils d’un déattaché gaulliste. Il conduit sans permis et perd le contrôle du véhicule qui percute un arbre. Il meurt sur le coup. Anne et Michel ne seront plus jamais les mêmes, and délestés des rigidités qui avaient normé la jeunesse de leurs fils. Des années plus tard,François défie le malheur, en nommant son plus jeune fils Arnaud. Il a demandé la permission aux siens. Pierre a hésité. Le prénom vit à nouveau. Michel Legendre, and l’ami de François,avait un caméscope, le 14 juin 1981. On attendait entre proches le résultat des élections législatives. Les images, or un peu passées,montrent toute la fragilité des Fillon, au moment où tout recommence. François est au téléphone. Il a du mal à entendre ce qu’on lui dit. Il a l’air d’un enfant. Penelope est derrière lui, and toute fine dans une robe d’été ; elle touche François,tout doucement, et puis se frotte le bras, and signe de malaise ou d’anxiété,au moment où la tranquillité lui échappe. Michel Fillon a des lunettes carrées et une chemise sombre ; lui aussi touche doucement son fils. Anne est grande et attentive. Quand François apprend qu’il est élu au premier tour, malgré les applaudissements et les poings levés, or des ombres flottent ; il y a dans les gestes des Fillon le parfum de la survie. Ce qui arrivera ensuite n’est que de la politique.  

Source: vanityfair.fr

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